Brésil: Une épidémie frappe le dauphin gris

Brésil: Une épidémie frappe le dauphin gris

Le dauphin gris qui vit dans les eaux de Rio de Janeiro et orne le blason de la ville, est menacé de disparition. Un virus, méconnu dans l’Atlantique Sud, le frappe. L’industrialisation du littoral et l’urbanisation font le reste... 

De toutes les espèces de dauphins de la planète, le dauphin gris est l’un des plus petits et des plus discrets : 1,80 m à 2 mètres quand il arrive à l’âge adulte pour 60 kg. Son tempérament est moins exubérant que la moyenne. Il saute peu, ne vient pas à la proue des navires pour montrer le chemin mais il se contente de surfer sur les vagues, y compris celles créées par le sillage des bateaux. 

Lorsque Leonardo Flach a fondé l’Institut Boto-Cinza (Dauphin Gris) à 150 kilomètres au sud de Rio de Janeiro, il était loin de penser qu’il ramasserait à Noël, des dépouilles de dauphins par dizaines…

Il y a 20 ans, le petit dauphin gris batifolait comme aux premiers jours du monde dans la baie enchanteresse de Sepetiba. L’étude de leur population, de leur comportement et des menaces pesant sur lui commençait à peine. 

Ecouter ce biologiste brésilien raconter ses trois dernières semaines à sillonner la baie et arpenter les plages, c’est comprendre 20 ans de combat pour la préservation d’un des plus petits dauphins du monde.

Vendredi 10 janvier 2018, Leonardo a eu la confirmation de ce qu’il redoutait : l’assassin de 170 dauphins en l’espace de 21 jours est un virus et c’est peut-être le début d’une grande épidémie. 

«On connaît le Morbillivirus depuis les années 80. Il atteint les cétacés, les dauphins mais aussi les baleines. Il y a eu des cas en Méditerranée, en Australie et en Amérique du Nord. Mais c’est la première fois qu’il est signalé dans les eaux de l’Atlantique Sud» explique-t-il à Anadolu. Les laboratoires d’analyse des Universités de Rio (UERJ) et Sao Paulo (USP) ont publié un communiqué conjoint. 

S’ils ne savent pas comment le «Morbillivirus» est arrivé à Rio, ils savent qu’il atteint le système respiratoire et nerveux des cétacés et diminue leurs défenses immunitaires: une porte ouverte aux bactéries mortelles, de la même famille que la rougeole (pour l’homme), la maladie de Carré (pour le chien), la peste (pour les chèvres).

«On s’est douté qu’il s’agissait d’un virus quand on a vu que les individus les plus faibles mourraient d’abord, des femelles et leurs petits», raconte Leonardo. 

Pour les 800 dauphins vivant jusqu’ici dans la baie de Sepetiba, c’est déjà 15% de la population qui est atteinte et cette mortalité qui frappe au berceau est une catastrophe. Car le petit dauphin gris se reproduit lentement: une femelle est fertile à l’âge de 6/7 ans, une gestation dure 12 mois, un seul petit naît et il faut attendre 3 ans avant que cette femelle en ait un autre. 

L’UICN (L’Union Internationale pour la Préservation de la Nature) a classé ce cétacé en Data Deficient (DD), faute de données statistiques globales. Leonardo risque lui, le chiffre mondial de 10 000 individus. On considère que la baie de Sepetiba héberge la plus importante population de dauphins gris du monde, 800 quand la plupart des groupes étudiés comptent 150 à 250 individus. 

Son habitat, ce sont les baies et les estuaires de l’Amérique du Sud, sur la façade Atlantique. Ainsi on en trouve sur la quasi totalité des 8000 kilomètres de côtes brésiliennes, à la limite des eaux froides de l’ Antarctique jusqu’au Nicaragua , en passant par la Guyane, où l’espèce fut identifiée pour la première fois en 1864. D’où son nom scientifique «Sotalia Guianensis». 
 

Mais celui qu’on nomma aussi «Sotalia Brasiliensis» est si présent sur le littoral brésilien que Rio de Janeiro a adopté l’animal sur le blason de sa ville. Pourtant du folklore à la préservation, il y a un gouffre. La baie de Guanabara par laquelle entrèrent les Portugais en 1501, croyant qu’il s’agissait d’une rivière, abrita elle aussi en son temps, une importante population de dauphin gris. 

«Dans les années 80, la Baie de Guanabara comptait 400 dauphins gris. Il n’en reste plus que 30... Guanabara est un miroir de Sepetiba, raconte le fondateur de Boto-Cinza. On reproduit le même modèle! ». Plus grande que Guanabara au centre de la ville de Rio, Sepetiba est une ellipse de 130 kilomètres protégée par un immense banc de sable de 40 kilomètres. 

Elle abrite des éco-systèmes de rochers côtiers, de terrains sablonneux et de marécages. Les baleines, les tortues marines – 4 des 5 espèces connues-, les dauphins ainsi que les pingouins en ont fait leur terrain de jeu au point que l’ICM-Bio Chico Mendes, Institut national de protection de l’environnement a crée une APP- Aire de Protection Permanente et décrété cette région de la plus haute importance pour la bio-diversité marine. 

Mais la pêche illégale aux filets trainants s’exerce sans contrôle entrainant régulièrement la mort des dauphins par capture accidentelle. Et trois nouveaux ports de chargement de minerais ainsi qu’un arsenal abritant la construction d’un sous-marin nucléaire se sont rajoutés aux deux ports construits dans les années 80. Itaguai par exemple avait 40 000 habitants il y a 10 ans. Ce port en compte 100 000 aujourd’hui. 

Sans parler des rivières qui s’y déversent après avoir traversé l’océan de favelas de la région ouest! Des métaux lourds, du mercure, des égouts, des filets, des navires au trafic multiplié par trois, qui vont et viennent perturbant leurs sonars, un dragage permanent du canal pour faciliter le passage des bateaux: le stress pour les dauphins gris est immense. 

Nul doute que ce contexte facilite leur vulnérabilité au virus. «On a demandé à la police maritime de contrôler la pêche illégale de sardines pour conserver leur garde manger et à la justice d’empêcher le dragage du canal pour les laisser un peu tranquilles». Mais Leonardo Flach est sans illusions. «Si ça continue, dans 50 jours, 50% des dauphins auront disparu de la baie».