Les ventes d’armes, une histoire bien française

- Si les exportations d’armes françaises cristallisent aujourd’hui l’attention des ONG, dans le silence de la quasi-totalité de la classe politique, plusieurs scandales ont déjà été révélés et font l’objet de poursuites pénales.
Les ventes d’armes, une histoire bien française

La France est officiellement le troisième pays exportateur d’armes au niveau mondial et concentre à elle seule, 11% des exportations d’armement sur la période 2017-2021.

Si elle reste devancée par les États-Unis qui représentent 39% de ces exportations et la Russie qui en comptabilise 19%, la France est largement devant la Chine qui n’en concentre que 4,6% sur cette même période, selon les chiffres du dernier rapport publié en début d’année par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri).

L’institut attribue notamment cette forte croissance des exportations d’armes françaises à la vente de Rafale à l’Égypte, au Qatar ou encore à l’Inde (les récents contrats conclus avec les Emirats arabes unis et l’Indonésie n’étaient pas encore finalisés durant ce rapport).

 

- Les alertes des ONG

Amnesty International alerte, dans sa campagne « silence on arme! » sur le fait qu’il « est à ce jour impossible de garantir que des armes françaises ne sont et ne seront pas utilisées pour commettre des violations graves des droits humains et du droit international humanitaire ».

« Nous exigeons du gouvernement qu’il rende des comptes sur ses exportations d’armes. Les parlementaires, garants incontournables du débat démocratique, doivent quant à eux pouvoir jouer leur rôle et exercer un meilleur contrôle de ces ventes d’armes. Nous allons aussi agir pour que l’opinion comprenne les enjeux de ce débat et nous aider à peser sur les dirigeants », écrit à ce propos l’ONG sur son site internet.

Début juin courant, les trois ONG internationales Sherpa, Mwatana for Human Rights, et le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme (ECCHR), ont déposé plainte devant le tribunal judiciaire de Paris, contre trois entreprises françaises d’armement, pour des faits de « complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés au Yémen ».

Sont concernées par la plainte, les trois géants de l’armement français Dassault Aviation, Thalès Groupe et MBDA France.

Dans une publication effectuée sur leurs sites internet respectifs, les trois organisations estimaient que les faits « auraient pu être commis du fait de leurs exportations d’armes vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ».

 

- Les scandales historiques

Si les exportations d’armement cristallisent aujourd’hui l’attention des ONG dans le silence de la quasi-totalité de la classe politique, plusieurs scandales ont déjà été révélés et font l’objet de poursuites pénales.

En 1991, la France a conclu un contrat de vente de six frégates Lafayette, avec Taïwan qui craignait à cette époque d’être envahie par la Chine.

Après de premières objections du Président François Mitterrand pour des raisons diplomatiques, l’entreprise Thomson, (devenue Thalès aujourd’hui) « se lance alors dans une campagne pour influencer le gouvernement, promettant 60 millions de francs à Christine Deviers-Joncour, maîtresse du ministre des Affaires étrangères Roland Dumas, si elle parvient à convaincre ce dernier de donner son aval », comme le souligne le site d’analyse et d’information Slate.

L’initiative est finalement payante puisqu’un « nouveau contrat est signé en 1991 avec l’accord de Dumas et de Mitterrand pour 14,7 milliards de francs, soit 3,6 milliards de francs de plus que la somme initialement négociée », indique la même source.

Cette augmentation du montant de la vente aurait finalement servi à financer des rétrocommissions évaluées à près de 4,8 milliards de francs, à de hauts-fonctionnaires et autres politiques français.

Malgré les aveux de Roland Dumas en 1996, dans le cadre de ce dossier, classé secret-défense, la justice a dû prononcer un non-lieu dans cette affaire en 2008, faute d’éléments factuels.

Parallèlement à cela, dès le début des années 90, l’Angola a sollicité la France pour acquérir des armes mais s'est heurté à de fortes réticences du fait de la règle selon laquelle la France refuse de livrer des armes à des pays en guerre (l’Angola était alors en proie à une guerre civile).

Malgré tout, un contrat de 790 millions de dollars est « signé en 1994 entre la société Brenco de l’homme d’affaires français Pierre Falcone, et l’Angola (…) sans que le gouvernement français ne soit au courant », note Slate.

Là encore, après un travail d’investigations, les enquêteurs découvrent un système de rétrocommissions et autres pots-de-vin.

Toujours selon Slate, ils découvrent au terme d’une perquisition, une liste de « personnes rémunérées par Brenco en marge de contrats d’armements où figurent de nombreuses personnalités: Jean-Christophe Mitterrand (fils de François Mitterrand) qui a mis en relation Falcone et le Président angolais, l’écrivain Paul-Loup Sulitzer, Jean-Charles Mariani, lui-même conseiller du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, ou encore Jacques Attali, ancien conseiller du Président François Mitterrand ».

Au terme d’un long procès, pas moins de 36 personnes ont été condamnées pour avoir contribué à cette vente d’armes et obtenu des pots-de-vin distribués entre autre par Pierre Falcone.

 

- Quelle responsabilité dans les crimes de guerre?

Selon Aymeric Elluin, responsable du plaidoyer « Armes » au sein de l'ONG Amnesty International France, si « les entreprises disent que leurs ventes sont légales car elles ont l’autorisation de l’État (…) le droit international commence à changer pour dire que les industriels sont aussi responsables de l’usage que leurs clients font des armes qu’ils leur ont vendues ».

Dans un entretien au journal La Croix, il assure que les entreprises d’armement « doivent indiquer les mesures mises en place pour s’assurer que leurs armes ne sont pas impliquées dans des crimes de guerre » et que « si tel est le cas, la responsabilité pénale pourra être invoquée contre eux ».

« Il suffit maintenant qu’une entreprise a eu connaissance que son action pouvait servir à commettre des crimes pour être poursuivie. Une porte est désormais ouverte pour évoquer la responsabilité pénale et la complicité des industriels dans les crimes commis par leurs clients », poursuit ce spécialiste, avant d’évoquer le cas de Lafarge.

Le cimentier français est, en effet, poursuivi par la justice et mis en examen depuis 2018 pour des faits de « complicité de crimes contre l’humanité », « financement du terrorisme », « violation d'un embargo » et « mise en danger de la vie » de ses salariés en Syrie, soupçonné d’avoir versé, entre 2013 et 2014, une somme estimée à 13 millions d’euros à des groupes terroristes dont Daech, pour espérer poursuivre ses activités sur place alors que la Syrie était déjà à feu et à sang.